mercredi 3 février 2010

Le Serpent mythique


Le Serpent mythique
L’Arc en ciel
Le Soleil et la Lune


Thomas KOUNDÉ




La peinture n’a pas seulement le Corps, elle a le Cœur, la Tête et l’Esprit.

Chercher la tradition n’est pas un retour au passé, car la tradition, c’est la vie. Une fois qu’il a retrouvé la tradition, le peintre peut retrouver la création dans son principe et en percevoir le secret. La tradition est rattachée à un phénomène vital et non à l’histoire.

« L’artiste sans cesse occupé à contempler la Création, rend au Créateur un perpétuel hommage. »
Léonard de Vinci




 
Les articles suivant correspondent aux textes et aux oeuvres reproduites dans le livre intitulé " Le Serpent mythique, l'Arc en ciel, le Soleil et la Lune" . La première édition sur papier réalisée en 2009 par l'auteur Thomas Koundé est limitée à 100 exemplaire.

Table des matières :

1 Avant propos

L’initiation conduit à une existence différente en accord avec soi et conforme au destin enfin reconnu et librement accepté par l’adepte. Dans l’initiation Vodou, l’art occupe une place centrale dans les rites et la transmission du sens de la vie. Il a une signification spirituelle, comme la lumière de la connaissance qui éclaire les ténèbres de l’ignorance; il représente différentes parties de l’histoire de la création.
La construction de cette forme de pensée est marquée du sceau de l’arc-en-ciel : le serpent de la connaissance. C’est une idée éternelle vivante sous une enveloppe énigmatique qui suggère l’éternelle question: « Que sais-je, que suis-je, que serai-je, d’où viens-je, où suis-je, où vais-je ?
La réponse se trouve dans l’image changeante du réel, dans l’essence du vide. La vérité ne peut être appréhendé que par le silence du mental. C’est par la plénitude que se révèle la vérité qui vit en chacun de nous. Dans le cœur, quand l’esprit la cherche, dans l’esprit quand le cœur l’exprime.

2 Préface

La peinture a permis à la civilisation noire africaine, de tradition principalement orale, de garder les traces du passé, tout en transmettant le souvenir du temps des rêves qui lui ont permis d’élaborer une représentation du monde et de la nature, mais également une conception de l’humanité. La vie de relation a permis à l’homme de s’adapter, de grandir et de parvenir à maturité, de vieillir et de mourir en balisant le chemin au demeurant de la terre des hommes.
Les Masques et autres objets rituels rassemblés sous la rubrique Art noir africain, que nous retrouvons dans les collections privées et dans nos Musées sont les empreintes de cette quête de vérité. Ces différentes traces qui nous sont parvenues sont le fruit de cette recherche.


« Chercher n’est pas une chose et trouver une autre, mais le gain de la recherche, c’est la recherche elle-même ».
Saint Grégoire de Nysse (355, +394).

3 Thomas Koundé

Thomas Koundé est un artiste béninois au talent multiforme qui s’inscrit dans la continuité de cette recherche. Ses deux passions : la peinture et la musique. Son enfance est bercée par les rythmes vodou et les secousses vibratoires provoquant les transes des adeptes. Musicien, il s’initie au rythme vodou dans le but de rendre vibrant l’image. Le rythme, c’est l’énergie de l’image, l’essence magique, l’expression de la source vitale, le choc vibratoire qui nous saisit à la racine de l’être.
Artiste peintre, il s’inscrit dans la tradition de l’image dans la civilisation orale africaine. Son œuvre est alors comparable à une pièce de monnaie avec ses deux faces : une face énigmatique déployée dans le seul monde visible, il s’agit de l’image qui exprime les réalités qui soutiennent les apparences; l’autre face est tournée vers les initiés. Il présente ici, une mise en espace de la spiritualité vodou.
Les œuvres décrivent une trajectoire initiatique dans une dramaturgie de l’irréel. Elles laissent entrevoir les éclats de la spiritualité vodou dont la pleine jouissance implique l’initiation.
De l’art pictural au masque, le vodou établit la relation de l’initié à l’universel. Cette spiritualité rejoint dans une confrontation bénéfique et enrichissante le christianisme. Le panthéon vodou n’exclut pas l’unicité de la transcendance. De ce fait cette confrontation traverse toute la production artistique de Thomas Koundé.
Dominique MBOUKOU

4 Introduction

Le secret, si longtemps tu sur l’originalité du processus de la création animiste vodou, sur ses manifestations, nous révèle un véritable choc initiatique, dont les rites, les objets, les fétiches, les masques et les parures, les initiés et les cérémonies ont gardé l’empreinte.
Dans la cosmogonie vodou, le serpent mythique est une manifestation de l’énergie vitale. C’est la trame du cheminement que l’homme doit suivre pour accéder à la considération poétique des lois de la structure de l’univers afin de comprendre les rapports existant entre l’univers et tous les êtres réels.
Sous l’aspect du serpent mythique, l’arc en ciel était au service de la divinité créatrice. Au commencement, la divinité, créateur de toute chose se déplaçait dans la gueule du serpent qui la menait où elle désirait. Les ondulations du Serpent mythique du Vodou marquent d’un sceau secret la création du monde, avec les couleurs de l’arc en ciel.
Jaune comme l’Or astral, perpétuels flux et reflux remplissant tout l’univers avec ses particules solaires que nous respirons continuellement, qui pénètrent nos entrailles.
Bleu comme l’eau : la source de toute vie terrestre, comme le spectre de la mort en attendant le fluide d’une nouvelle naissance.
Rouge comme la pierre qui porte le signe du soleil. Comme le sang qui coule dans nos veines, comme la mutation de l’énergie et sa matérialisation par l’action de l’homme.
Vert comme la fusion du jaune et du bleu. Le vert évoque le secret des secrets du principe vital, qui se manifeste par les multiples instincts dont la créature a besoin pour survivre, dans la mouvance du temps. Vert comme le végétal avec sa légendaire volition se tourne vers le soleil dès que la lumière apparaît, pour capter son énergie qu’il transforme dans son laboratoire secret à l’abri du regard. Grâce à la synthèse de glucide, le végétal libère l’Oxygène indispensable à la vie, en se renouvelant sans cesse.
Orangé comme la fusion du Jaune et du Rouge, image de la structure mentale, de l’intelligence. La connaissance par laquelle l’initié dépasse la dualité existentielle : la vie et la mort. L’Orange pousse à l’optimisme et réjouit l’âme.
Violet comme une nécessité intérieure, comme un sentiment qui vient habiter un être humain lorsqu’il se découvre en rapport direct et immédiat avec la vérité, sans l'aide du raisonnement mais juste par : « l’intuition ».

5 L’esprit de la Création dirige le geste de l’homme

Entrons ensemble dans l’intimité de la cosmogonie Vodou pour découvrir ce que cache ce monde dans lequel prend forme le masque. Avec un vécu mouvant qui oscille entre chants et danses, rites d’initiation, transmission de savoir et de savoir faire, l’esprit de la création: un ensemble des mythes décrivant la naissance de l'univers, l’énigme que constitue l’existence humaine, l’initiation aux lois de la vie et au sacré, tel est le fruit du travail pictural livré ici à travers la présentation d’œuvre sur l’identité de l’initié et le Masque.
… Les thèmes qui sont abordés dans mes oeuvres se sont ébauchés dans mon enfance. Ils concernent d’une part les contenus spirituels véhiculés par les atmosphères des cérémonies Vodou et d’autre part l’aura mystérieuse qui accompagne la vision hallucinatoire des masques. Plus généralement, il concerne les objets de cultes.
Tout ce vécu m’a donné le sentiment d’avoir découvert un secret redoutable, d’avoir en quelque sorte pénétré l’intimité du vodou pour accéder au grand secret de la vie et de la nature de l’homme. Cette idée ne m’a plus jamais quitté. Toute ma jeunesse a été placée sous ce signe.
Si le vécu de ce secret fut douloureux et angoissant, c’est cependant sur lui que je prends appui pour étayer une quête qui va durer toute ma vie.
Dans la cosmogonie Vodou, l’arbre de la vie qui s’enracine sur la terre des hommes est renversé, les racines se trouvent dans la tête de l’homme et de la femme, dans la « mémoire archaïque du créateur » qui porte les fruits de l’imaginaire, les projets de l’humanité et leur rejeton : l’œuvre.
Les racines de l’arbre de la vie se trouvent dans la voûte céleste, au sommet de la tête, dans la fontanelle : c’est le règne de « l’imaginaire active » Pour l’initié Vodou, ce que le christianisme signe « au nom du père » n’est pas un délire hallucinatoire vécu avec intensité, mais l’esprit du créateur et de la création qui contribuent au devenir de notre humanité.
C’est ainsi que prennent forme nos projets et leur élaboration. Rêver suffit. Il est question ici de la virtualité créatrice du cycle évolutif, germe ou ferment du dynamisme universel. Transposé au quotidien « l’imaginaire active » se mue en messager qu’on n’attend pas, ce qui exige la vigilance de celui auquel le message est destiné. Alors que « le nom du fils » c’est la tête du serpent mythique, le sacré cœur du christ, le cœur de l’homme.
La croix n’est-elle pas l’entrecroisement du vertical « de l’esprit » et de l’horizontal « le corps » ? Il y a tellement de similitude entre ces deux conceptions de l’homme et de la divinité créatrice, entre le christianisme et l’animisme : croyance religieuse dans laquelle tous les êtres vivants, et même les objets, disposent d'une âme. Si à la place de l’âme nous mettrons « entité », Alors nous soumettons une correction à notre entendement. L’énergie est bien une réalité abstraite.
Tous les êtres vivants, et même les objets ne disposent-ils pas d’une énergie propre ? Le flux de l’énergie et cycle de la matière ne sont-ils pas des éléments biogènes indispensables à la constitution de la matière vivante? c’est la base du fonctionnement de l’écosystème.
Ce sont des questions que nous sommes en mesure de nous poser, afin de mener à bien l’œuvre de notre existence. Mais avant tout « Silence ! » Place au silence, à la neutralité du regard pour cheminer vers l’œuvre, pour se mettre en sa présence et essayer de percevoir et de ressentir ce qui s’y joue. Le silence est en effet nécessaire pour se tenir à distance.

mardi 2 février 2010

6 La place de la parole et de l’image dans la cosmogonie Vodou

Dans la civilisation noire africaine, la parole vole comme un oiseau. Elle jaillit comme une flamme, elle est présence, instantanéité, fulgurance, elle persuade et elle agit, elle convainc ou suscite la contradiction, l’éveil ou le dialogue… Cette oralité, pour se fixer dans la mémoire collective, s’est servie du support que représente l’image. Elle a pris la forme de la peinture rupestre qui obéit à des règles propres.
Au Bénin, les images qui véhiculent les traces des faits marquants de l’histoire sont communément appelés « les tentures d’Abomey ». Elles prennent la forme d’appliqués de coton tissé et coloré avec les couleurs de l’arc-en-ciel.
Les éléments scéniques s’organisent sous la forme d’espaces qui se suivent les uns les autres pour former une suite d’évènement. Une sorte de conjonction des espaces. Cet ordre commence le plus souvent par la genèse des événements, il se poursuit comme une carte désignant des lieux, où certains évènements cruciaux se sont déroulés. Il est aussi question de règles qui prennent la forme de totems, des signes qui correspondent à des entités, groupe humain ou un caractère animal etc.
Ces traces colorées représentent probablement la première tentative de l’homme, les premières traces marquées dans la matière, pour l’aider à se souvenir des évènements les plus marquants de la vie.
L’élaboration de la forme et l’utilisation des couleurs ont été à l’origine de l’expression et de l’encodage de la mémoire. La parole s’est d’abord fixée dans les chants contribuant largement à la diffusion des principes et des préceptes fondamentaux pour la protection de la vie et la survie de l’espèce.
Dans le panthéon Vaudou, les différentes cérémonies ont d’abord une fonction sociale de transmission des savoirs et des savoirs faire. La manifestation de l’esprit sacré procède par l’objet rituel, le fétiche et le masque. A travers un processus d’initiation, la réflexion autour de la conception de l’objet rituel, les scénarios ritualisés, les paroles véhiculées par les chants qui accompagnent toutes les occasions de la vie quotidienne. Toutes ces composantes ne sont en fait que des séances d’apprentissage, dont le rôle est de fixer les images fortes dans la mémoire collective, ce sont des outils cognitifs pour prémunir des dangers provenant de la nature qui n'a pas encore été apprivoisé par l'homme.
Une nature sauvage qui renferme ses secrets, Cette nature naturante pour faire référence au terme philosophique, qui caractérise chez Spinoza, "le monde en tant que substance infinie" ne demandait qu’à être dompté pour assurer la survie de l’espèce.
L’exemple de l’eau potable indispensable à la vie, à l’activité des pêcheurs et des potiers, suffit à lui seul pour illustrer la maîtrise indispensable des éléments créateurs : le feu et l’eau, l’air et la terre.
L’initiation est ici le processus qui permet à l’homme d’apprivoiser la nature en ayant pour repère le couple d’opposés que nous créons par la pensée, comme : l’efficace et l’inefficace, la plénitude et le vide, le vivant et la mort, le différent et l’identique, le clair et l’obscur, le chaud et le froid, l’énergie et la matière, le bien et le mal, l’un et le multiple, en résumé le soleil et son miroir la lune.
Le soleil est le milieu subtil et impondérable imprégnant tous les corps qui vibrent sous l'effet des ondes lumineuses. Sous la forme de l’arc-en-ciel, il représente la matérialisation du spectre de l’énergie vitale, l’essence de toute création. La lune, quant à elle, est la matrice spéculaire, le moule servant à reproduire l’empreinte du créateur.
C’est ici l’idée du cycle infini qui se renouvelle sans cesse, pour l’homme et la femme, le seul repère du temps qui s’écoule inexorablement, le jour et la nuit, le jour le plus long "solstice d'été" et le jour le plus court "solstice d'hiver", les saisons qui se suivent et ne se ressemblent pas, le cycle mensuel du premier croissant lunaire à la pleine lune; le mois, notre repère temporel.

7 La construction d’une mémoire

La parole et l’image contribuent à cette construction d’une mémoire, celle du temps : dont l’empreinte, le signe apparent est l’ensemble des connaissances issues de cette nature naturante provenant le l’expérience humaine et des pratiques de maîtrise liées à l’activité, la vie de relation. Cette mémoire du temps circule par la parole.
Pour faire face à l’oubli, la parole a été associée aux images « fortes » afin de favoriser le rappel en mémoire. Cette mémoire renferme les principes fondamentaux de la vie dans le milieu naturel.
L’Afrique a fixé la parole dans les images fortes à travers les rituels de conditionnement dont l’objet est de stimuler les procédures d’apprentissage et d'ouvrir l’esprit humain sur une conception du monde. Une connaissance par laquelle la maîtrise de la pensée en terme de création devient possible.
C’est le principe même du devenir conscient de l’identité de l’initié, et cela ne peut se faire que par la pensée. C’est la pensée qui crée ce qui sera.

8 Quelle peut être la place du peintre dans cette construction ?

Nous sommes en mesure de penser avec Goethe que : « Le peintre est un homme qui n’est pas simplement devant les choses mais il s’intéresse à la communication qui s’établit entre elles, avec une réalité qui représente leur essence magique. C’est ici l’art de produire des effets inexplicables, une réalité qui n’est pas un objet. »
De la même manière qu’un homme appelé à être artiste s’intéresse vivement à tout ce qui l’entoure, les chants, les danses, tous les éléments symboliques dont les masques se composent ont attiré mon attention, c’est ce qui motive ce choix initial : une approche compréhensive du mystère qui entoure ces évènements ritualisés. C’est aussi ce qui produit l’éveil de ma sensibilité. Je me suis exercé peu à peu à observer, avec une acuité toujours plus grande.
Verba volant, scripta manent, dit le proverbe : « La parole s’envole, mais les écrits restent ». Pourtant, si la parole vole, elle ne se reprend pas : « ce qui est dit, est dit ». Une fois lâchées, les paroles se répandent partout, aussi difficiles à rattraper que les plumes d’un oiseau.
La civilisation orale aurait pu dire : la parole s’envole, mais les images prennent forme dans le sujet agissant. Ce qui ne veut pas dire que le sens caché est accessible. Ces images qu’offre la civilisation orale africaine, sont une manière de rendre brusquement visible et brusquement muette, une manière de cacher un message et de le confier à la mémoire collective, à une mémoire extérieure qui ne fait pas de bruit, comme endormi dans une attente, de celui qui saura trouver, parce qu’il connaîtra les codes permettant de les faire revivre.
L’image dans la civilisation orale africaine est alors comparable à une pièce de monnaie avec ses deux faces : une face énigmatique déployée dans le seul monde visible, et une face lisible tournée vers ceux qui savent. Il arrive alors que le code qui régit les images du monde noir africain soit brouillé, occulté, dissimulé aux profanes, quand le message est destiné aux dieux et aux esprits sacrés. Pour des raisons de « transmission de savoir ludique » le code peut être réservé à quelques initiés. De la sagesse et de l’éthique sont indispensables pour manipuler certaines images qui, tout compte fait, sont des instruments de conditionnement opérant dans l’acte d’apprendre. De la même manière qu’on apprend à protéger la vie, l’on pourrait apprendre à la détruire, c’est ce qui explique que certains codes ne sont pas délibérément confiés au premier venu.
En définitive, l’artiste qui participe à la création de ces images, n’est pas appelé uniquement à représenter la surface d’une apparence, mais une totalité vivante qui parle à toutes nos forces spirituelles et sensibles. Une totalité qui suscite notre désir, élève notre esprit et dont la possession nous rend heureux. Une entité qui est pleine de vie vigoureuse parfaitement formée et belle. C’est vers cela que l’artiste doit tendre. La réflexion est donc nécessaire afin que la forme, la matière et le contenu s’accommodent, s’intègrent et s’interpénètrent. De la sérénité et de la conscience, voilà les beaux présents pour lesquels l’artiste remercie le créateur : de la conscience afin qu’il ne soit pas saisi de frayeur devant l’horreur et enfin, de la sérénité afin qu’il sache représenter tout de manière agréable.
Dans l’univers Vodou, tout est vibration. Toute action, tout geste, tout mouvement, toute pensée engendrent des vibrations indéfinies qui se répercutent dans le monde entier et qui participent à sa création. Pour vibrer à l’unisson de cette culture, il me faut prendre le bâton de pèlerin, de jour comme de nuit, marcher dans les sillons du passé, en me rapprochant le jour des sages qui détiennent le savoir ancestral, et en puisant la nuit dans le réceptacle de ma mémoire onirique, c’est dire la volonté délibérée, doublé du rêve qui conduisent cette quête de lumière pour éclairer ces traces.

9 Une recherche du sens

La recherche de cette vérité transcendante, c’est-à-dire « la matérialisation de l’énergie vitale » : les traces du passé, du présent et celles en cours de construction ; conduit plusieurs de mes tentatives. La première démarche est une rencontre du surréalisme dans l’espérance d’une solution pour exprimer les émotions vécues. C’est ainsi que prend forme l’une de mes premières composition picturale : Chaque chose en son temps.
Dans cette peinture, par un jeu de miroir une tête bleue, tournée vers la nature s’ouvre, et laisse apparaître une lumière centrale entre les yeux. Derrière la tête bleue, un visage de chair, rouge au dessus duquel s’élève une tête qui porte sa vision au loin dans l'espace ou dans le temps.
Deux paumes de mains jaunes et vertes tentent en vain de protéger ce visage.
Enfin un personnage, une femme censée représenter la mère observe cette situation et n’intervient pas.
L’œuvre humaine dans cette peinture, c’est l’orientation du parcours du créateur qui prend la forme d’un fluide universel bleu qui coule de façon continue, une énergie qui circule dans la boite crânienne bleue dont le rythme s’accélère pour tendre vers le rayonnement jaune de l’énergie de la création.
C’est ici un itinéraire emprunté pour aller de l’obscurité vers la lumière, de la froideur de l’ignorance (bleue comme la couleur de la boite crânienne dans cette composition – (planche n°1), un bleu qui caractérise l’absence et la cristallisation de la sensibilité. Le point de départ, c’est bien de l’ignorance qu’il s’agit, et l’œuvre du vivant c’est vraiment la recherche du sens qui procède par l’observation.
Dans cette peinture, c’est une épreuve que le jeu de miroir laisse découvrir avec un caractère ouvrier, en terme d’édifice construit pierre après pierre, d’où découle le sentiment d’exister et une sensation de plénitude.
S’il existe une fonction ici c’est le sens de l’orientation, celui de la direction à prendre. Il ne s’agit pas simplement du bon vouloir des uns ou de prévisions de certitude et d’incertitude des autres. On apprend principalement à s’orienter par les sens. Le sens alors se découvre, se dévoile, il s’incarne et prend corps et s’éprouve dans la chair rouge chemin faisant, par la souffrance. Pourquoi ne pas parler de l’incarnation du sens.
L’étonnant, c’est que le sens vient d’un ailleurs qui nous échappe mais qui s’impose avec perte ou fracas, ou avec une insistance obstinée qui se caractérise par une répétition obsédante en cas de surdité et d’obstination, parfois par un éblouissement ou l’émotion enfin douce est apaisée. Avec cette expérience humaine une nouvelle manière de penser s’est imposée.


Ce qui caractérise l’élaboration de ma peinture,
c’est d’abord la recherche du sens profond de
l’œuvre humaine. Elle s’organise et prend forme
dans l’image que l’homme projette sur le monde.
C’est aussi l’univers familier de la forme, et
sa troisième dimension inspirée par la sculpture africaine.

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10 Chaque chose en son temps

L’essentiel de l’œuvre humaine se trouve dans la matrice et le contenu, dans le sens de l’acte posé : la naissance, les empreintes et les traces laissées par la main de l’homme et de la femme.
Il faut se résigner au sort momentané qui nous est fait, même s’il nous paraît pénible et injuste, car le temps n’est qu’une fiction, et il faut avoir la certitude d’un avenir meilleur. si l’on mène une vie simple, il nous faut avoir une conscience paisible.
Quand on espère sans impatience, on peut être assuré de la récompense future. Pour cela, il suffit en effet d’orienter l’ambition et l’amour propre dans le sens des lois naturelles et éthiques, de leur substituer la modestie, pour s’attirer à soi les meilleures influences.
Ces lois universelles que certains nomment « Lois de nécessité » sont la médiation permettant d’accéder à un degré supérieur de conscience. Tout l’art du vivant représente la contribution de l’homme conscient du devenir de l’humanité et cette contribution n’est possible que par l’éveil de toutes nos facultés, tant intellectuelles, qu’intuitives. L’union du savoir et de la connaissance est toujours indispensable pour œuvrer dans l’ordre souverain


Chaque chose en son temps
Tout arrive à qui sait œuvrer et attendre. Respirer suffit !
Huile sur vélin d’arche – 1985 – Haut. 67 cm x larg. 47 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE



11 La recherche de la forme


« Ce qui sépare l’homme de la nature,
c’est la capacité de passer du réel à l’imaginaire et vice versa
sans altérer l’ordre normal de l’équilibre de la vie. »


L’année 1985 concrétise la maturation du cheminement créatif qui m’a permis d’initier un concept qui porte un nom « l’image rythmée ». Il s’agit de transformer un langage prosaïque en un langage poétique et rythmique, en me référant au serpent mythique et à la manifestation de l’énergie vitale.
C’est la trame qui constitue le cheminement que l’initié doit suivre pour accéder à la considération poétique des lois de la structure de l’univers par l’apprentissage, d’abord une tentative d’accommodation, la rencontre entre le créateur et son objet de création, ensuite le dialogue qui en découle l’assimilation des rapports existants entre l’univers et tous les êtres réels.

12 En quoi consiste l’intérêt poétique ?

L’intérêt poétique réside dans l’antagonisme entre d’un côté une pensée abrupte avec un contenu et une représentation quasiment non structurée et de l’autre, une expression structurée, riche et vivace.
L’usage du langage rythmé dans une production dramatique a un effet important. Il traite tous les caractères et toutes les situations selon une loi unique : « le rythme », les intègre dans une seule et même forme malgré leur différenciation interne. C’est l’exigence de la présence de quelque chose d’universelle, de purement humain, dans tout ce qui est présenté quelque individuel et spécifique que cela soit.
Il faut que tout soit unifié dans le concept générique du poétique. Le rythme est à la fois le représentant et le moyen de cette loi puisqu’il subsume tout sur sa juridiction. Il forme donc l’atmosphère de la création poétique, de sorte que tout aspect commun disparaît, puisque seul ce qui participe de l’esprit peut être porté par cet élément sans fin.
En définitive, les thèmes abordés dans mes peintures ne sont que des points de repère, des marques pour suivre une voie déterminée, un parcours initiatique, semblable à celui du pèlerin qui poursuit sans relâche les traces sacrées laissées par les histoires d’initiés vodou, comme celles des pèlerins de Saint Jacques de Compostelle, c’est une quête de vérité.
Il s’agit d’abord, de se poser les mêmes questions existentielles que les initiés de la culture Vodou et ensuite de retrouver les expressions humaines du vivant qui se sont manifestées à diverses occasions de l’histoire. En même temps que les solutions que propose l’expérience humaine que j’appelle volontiers « le cheminement de l’œuvre ».
Voici les thèmes abordés, quelques exemples qui illustrent le chemin parcouru : Le serpent initiatique, Chaque chose en son temps, conscience, confidence, l‘éternel féminin, enclave sidéral… Enfin ma dernière création « la nébuleuse du cortex », correspond à cette entité vibrante que j’ai toujours recherchée et qui représente l’énergie vitale de la culture Vodou, une sorte d’esprit de la création qui dirige le geste du quêteur d’axiome.
Pour saisir cette tension entre l’objet d’art en création et son créateur, faisons ensemble une immersion dans le lieu où l’énergie s’exerce et le contexte culturel qui la véhicule.

13 La nébuleuse du Cortex

La parole en expansion généreuse dans le monde humain
D’un point de vue descriptif de l’image, la tête de l’homme se trouve aux confins de deux triangles. Celui dont l’extrémité est pointée vers le bas représente la voûte céleste. Le second est à l’image de la pyramide, il est tourné vers le ciel, il représente l’écorce terrestre. Lovée dans la fusion des deux mondes rassemblés par le serpent mythique de la création, le cortex est un objet à la fois proche et éloigné difficile à cerner et impossible à observer même dans un télescope de grand diamètre. Du nord au sud, ses dimensions sont des années lumières. L’observation en profondeur des étoiles avoisinantes, montre qu’il s’agit d’un nuage obscur qui fait écran dans cette composition picturale.
Elle est la plus connue des nébuleuses obscures de l’univers. Il s’agit d’un nuage de matière symbolique chaude 37°, à la température du corps humain. Dans la cosmogonie vodou, Elle s’est révélée comme une parole en expansion généreuse dans le monde humain que symbolise l’arc-en-ciel, « une parole opérante et efficace » qui implique l’homme entier : corps et esprit, dans l’acte qu’il accomplit ou exactement dans le monde qu’il crée virtuellement. », Dans l’univers cosmobiologique et dans le monde sociopolitique.

La nébuleuse du Cortex
Huile sur toile – 2007 – Haut. 130 cm x larg. 97 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

Essentiellement composée de poussières d’étoiles, elle est stimulée par la perception du monde extérieur et prend forme dans le monde Onirique. Face au Logos, à l’incarnation du «Verbe », la Sagesse a développé tout un système de comportement éthique propre à faire de la société humaine un lieu d’avènement de l’homme sous le signe du sacré. En voici les préceptes :
L’initié aux lois de la vie devrait être plein de respect pour l’ancien et pour toute autorité. Il ou elle devrait être rempli(e) de sens de fraternité pour ses propres frères et sœurs d’initiation, discret(e) et sobre dans ses propos. Un(e) initié vodou est tenu(e) d’être un model.
Fondée sur le principe de la préparation à la communion mystique, l’initiation grâce au développement de la sensibilité de l’initié et à la mise à l’épreuve de ses émotions, permet d’éveiller des capacités extrasensorielles pour donner du sens, transmettre et cristalliser les connaissances de l’expérience humaine. Son point fort, c’est la propre mort symbolique radicale de l’ego de l’initié qui meurt en lui pour renaître dans l’autre. C’est ce qui lui confère cette capacité d’insinuer dans le sens de communiquer sa pensée de manière indirecte, de faire partager progressivement le sentiment qu’il éprouve. Ainsi, l’arc en ciel se matérialise par le verbe pour prendre forme dans la coupe, dans le cœur de l’initié. Commence alors la noce initiatique.

14 Le cheminement de l’œuvre

« L’homme qui cherche le vrai est seul devant lui-même, comme le noyau dans la chair du fruit » dit un texte initiatique Égyptien. C’est un cheminement solitaire qui permet de faire la quête de cette quintessence de l’expérience vécue par l’humanité lors de son long, très long passé. Ainsi, l’esprit du créateur qui m’habite, prend conscience d’une vérité transcendante, que cachent les apparences du monde, vérité qui postule que l’initié est le témoin conscient du déroulement du Verbe. Cette parole agissante qui provient du silence intérieur est capable de transformer l’homme qui l’écoute. La plus belle symphonie exécutée devant les sourds prend ici tout son sens, voire sa réalité. La véritable sagesse découle de la compréhension de l’unité fondamentale de l’univers. La matière peut s’évaporer en lumière et la lumière se condenser en matière, tel est le fait qu’admet la science contemporaine.
La recherche de cette vérité transcendante détermine un véritable parcours initiatique. C’est la quête de l’énergie qui porte en elle une dynamique de la création, le rythme vibratoire permettant d’appréhender la loi qui confère à chaque chose sa spécificité. La connaissance de la loi du rythme fait l’objet de mon initiation aux mystères de la création, et des énergies pour l’accomplir. Pouvoir localiser, concentrer et guider ses énergies, permettrait de promouvoir l’acte créateur. Cette possibilité constitue l’acte magique de toute création, du pouvoir créateur non manifesté. L’esprit régénéré de l’homme apte à les produire, en se dévoilant découvre les mystères de l’existence humaine.
Le rythme est l’émanation du verbe, du Logos en tant que manifestation du mouvement de la vie, de la logique immanente de l’être humain: la source de toute pensée.
Pourquoi faire un cheminement initiatique sur les traces du serpent mythique de la création, si ce n’est pour retrouver les traces de l’arc-en-ciel afin de rendre accessible au sens commun cette totalité vivante de la culture vodou, en prenant le risque de l’exposer à la lumière ?
C’est l’occasion de se faire une idée de ce que j’appelle « le parcours de création », ce cheminement qui donne l’accès à la découverte du temple : la terre des hommes. L’initié arrivé au seuil des labeurs, se trouve face à face aux marches qui lui donnent l’accès à l’univers des symboles : le soleil et son miroir spéculaire la lune. Les marches sont devant nous, il nous faut oser les monter pour transfigurer « l’enclave sidérale, transformer en éclats inhabituels le monde dans lequel nous vivons. »
L’acte inaugurateur de cette transformation est celui de l’initiation à l’œuvre de la création.
Le désir qui m’anime aujourd’hui, est celui de partager ces essences magiques, de transmettre cette forme de pensée et de donner du sens à ce que j’ai vécu en matière d’art africain en terme de secret des lois vibratoires universelles. Avec suffisamment de prise de distance, il me semble indispensable de vous livrer en pâture le contexte culturel qui est la source de toutes mes inspirations.

15 Enclave sidérale

La terre des hommes, le soleil et la lune
Notre monde visible, la terre des hommes est enclavé dans un univers sidéral. Seule une vision élargie de « celui qui sait décrypter les symboles débouchera sur les ébauches d’une nouvelle civilisation, entraînant les hommes par cycles concentriques, vers un monde dans lequel s’exercera la seule véritable fraternité, celle basée sur l’amour issu de la compréhension des lois de la vie. La lune génératrice de cette notion du temps, constitue le repère.
C’est ainsi que le premier jour de son apparition est consacré à l’ordination de la vie, le baptême lunaire : la perception du premier croissant lunaire est la première représentation consciente du temps qui s’écoule le long de la vie.
Serein, le maître du grand œuvre arrivé au seuil des labeurs montre le chemin. « Dada Sêgbo Lissa », l’âme suprême du monde, conduit les rituels de l’initiation. Voici le soleil qui rayonne sur la terre le jour et la Lune qui diffuse sa lumière la nuit. L’union sexuée du soleil et de la lune marque le départ du cosmos, comme celui de son retour à l’origine.
Les marches sont là. Il faut oser les monter.

Enclave sidérale
Huile sur toile – 1996 – Haut. 97 cm x larg. 130 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

L’immersion en territoire vodou : Ouidah
La république du Bénin est lieu où se manifeste l’esprit de la création, plus particulièrement une ville du bord de l’océan atlantique, aux milles cérémonies colorées vodous, ville des secrets initiatiques à la terre battue d’argile rouge. La ville de Ouidah où je suis venu au monde et les années soixante de ma tendre enfance. L’histoire de la création vodou est traversée par celle de la traite négrière et le déracinement a été un moteur important, très déterminant pour conserver en un seul « tout » et éviter le morcellement de la culture Vodou.
Assurer à tout prix, la transmission de la philosophie inter générationnelle de la vie en était l’orientation primordiale.
L’univers culturel animiste et son panthéon Vodou, le « Fa » sa géomancie, sa mythologie et ses légendes régissant le rapport de l’homme noir à la nature et aux quatre éléments créateurs : la terre, l’eau, le feu et l’air, son rapport à la fusion de la matière et de l’esprit, au sacré, au divin ou à l’universel sur un fond de la traite des esclaves. Tout ce qui a marqué ma conscience comme on marque le bétail au fer rouge: « Le chemin du non retour » le souvenir des esclaves noirs, les femmes et les hommes arrachés à leur famille, enchaînés comme du bétail, et débarqués des cales au nouveau monde.
La ville qui m’a vu naître, porte en elle, les stigmates du déracinement. La plage de Ouidah a été le centre névralgique d’un grand commerce où déracinement rythme avec quête d’identité forte. C’est une relation de cause à effet. Les différents cultes avant le grand départ des esclaves, étaient destinés à préserver l’âme de l’esclave déraciné. C’est peut être ce qui détermine mon itinéraire et ma quête de l’identité noire.
L’homme déraciné s’éveille du côté de l’invention où se trouve toute l’alchimie qui par un effet de marquage, d’éveil à la conscience de son identité noire, ouvre le chemin qui donne sur tout le rituel qui consiste désormais à inscrire dans sa mémoire les différentes codifications. Graver les règles qui définissent le rapport de l’homme à la nature, au divin et au sacré. Faire corps avec les cultes des ancêtres en les apportant avec soi dans le nouveau monde.

16 Le serpent initiatique



L’esprit de la Création dirige le geste de l’homme
Heureux l’homme qui est l’instrument de l’esprit
L’esprit du bois dirige la main du sculpteur
L’esprit du fer dirige la main du forgeron
L’esprit de l’or dirige la main de l’orfèvre
L’esprit de la lumière dirige la main du peintre
L’esprit de l’harmonie dirige la main du musicien
Heureux l’homme qui est l’instrument de l’esprit.


La conception de l’univers dans la cosmogonie Vodou
Dans la tradition du vodou, l’initiation est la transmission de la conception de la relation privilégiée que l’espèce humaine entretient avec son environnement : la terre des hommes, l’eau, le feu, l’air et, leur fusion, une vie harmonieuse. C’est ce que nous appelons aujourd’hui l’écologie ou encore le développement durable. La vie de relation suppose qu’un système original d’échanges s’établisse entre l’individu et le milieu. Nos désirs et souhaits, nos ambitions et aspirations se manifestent à travers l’énergie que nous déployons à l’œuvre pour la survie de notre espèce, ce sont des vibrations ondulatoires similaires à celle du serpent mythique de l’initiation à la création. Dans cette tradition, l’homme est un élément de l’écosystème qui participe à l’ontogenèse. L’énergie et le mouvement sont au cœur de la matière et de la création.
Les Fons du Dahomey (actuelle République du Bénin) disaient que le serpent initiatique était si vieux qu’il existait avant la création de la terre. Sous l’aspect du serpent divin Aïdo-Hwedo « l’énergie » était au service de la divinité créatrice Mawu. Celle-ci se déplaçait dans la gueule d’Aïdo-Hwedo qui la menait où il désirait. Les ondulations du serpent marquaient ce que créait la divinité, ce qui explique que la terre soit creusée de fleuves sinueuses, de vallées profondes et de pensées abruptes.

Le serpent initiatique
Huile sur toile – 1992 – Haut. 150 cm x larg. 60,5 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

L’œuvre crée par la divinité créatrice Mawu « l’unité dans la diversité » avait la forme d’une immense sphère, une tête symbolisée par une calebasse ouverte en deux, la moitié supérieure contenait le ciel, le soleil et la lune, la moitié inférieure contenait les eaux sur la laquelle flottait la terre. Ces deux moitiés se joignent à l’horizon où la mer et le ciel se touche en un lieu fabuleux que nul ne peut atteindre, aussi loin qu’il navigue. Dans sa grande sagesse, Mawu « la divinité créatrice » ordonna à Aïdo-Hwedo « Le serpent initiatique » de se glisser sous les eaux et de s’enrouler en un cercle parfait, la queue dans la gueule.
A l’aube du monde, le Créateur enroula le serpent sacré autour de la sphère divisée en deux pour fixer l’une à l’autre, les deux moitiés.
Dans cette représentation du monde, le Serpent initiatique des profondeurs de la terre à rendez-vous avec l’oiseau qui vole dans le ciel, de cime en cime, de branche en branche, de continent en continent..
L’œuvre humaine représente la trame à tisser au cours de l’existence, en suivant l’exemple du serpent initiatique. L’énergie représente ce fond sur lequel se détache l’œuvre. C’est un ensemble des fils entrelacés sur la chaîne qui constituent le tissu de notre existence.
Le créateur se déplace dans la gueule du serpent initiatique « l’énergie » qui le mène où il désire. La tête du serpent c’est le cœur de l’homme.
Le serpent, c’est une énergie qui circule. Les ondulations de l’énergie marquent le geste du créateur; il s’agit du sang qui coule dans nos artères et nos veines et qui émane du cœur. Ce qui explique que la création manifestée, la matière soit creusée d’énergies sinueuses et de sens profond. La physique a bien découvert l’énergie sous la matière, les ondes et leurs variations.
La forme de l’Univers dépend du rayonnement de cette énergie primordiale Aïdo-Hwedo, de l’esprit du créateur et de la création.

17 L’enfance de l’art

Les années de mon enfance ont vu naître dans la tête du jeune garçon Thomas, le besoin de comprendre un certain nombre de choses contradictoires. Le conflit provenait de l’écart qu’il y a entre l’éducation judéo-chrétienne qui est fondatrice de mon identité et tout le passé, l’art africain et son puissant pouvoir émotionnel. C’est sur le terrain de l’émotion que cheminent mon apprentissage et mon initiation, la possibilité de focaliser et de diriger les énergies subtiles, qui vont me permettre de révéler l’intérieur des choses à partir de l’observation de l’extérieur : atteindre le « Noumène »: la réalité intelligible, l’essence magique d’un phénomène.
Du désir de partager les sensations que j’ai vécues pendant ces belles années, est né l’esprit de la création qui a pris possession de mes gestes pour transmettre cette mémoire des évènements situés.
Les atmosphères idylliques entre l’homme et la matière : les odeurs de la terre quand il se met à pleuvoir, tous ses vêtements d’initiés au millier d’éclats, blanc, bleu indigo, jaune, orangé, rouge et vert, le rythme des tambours battant jusqu’au bout de la nuit, les séquences de transe à vous faire perdre le souffle, toute ces émotions sont rendues sensibles dans l’expression artistique que j’ai pris le temps de construire comme un langage d’initié.
« C’est avec un travail solitaire que j’ai construit ma propre expression plastique. » je me nomme Thomas Koundé, je suis né au Bénin en 1957, « à cette époque le Bénin s’appelait le Dahomey, certains racontent que le pays où je suis né, était le quartier latin de l’Afrique, ». En effet il y avait beaucoup d’intellectuels qui provenaient de ce creuset, point de rencontre d'influences, de cultures diverses Vodous.
A Ouidah, la ville chargée par l’histoire de la traite des esclaves, où je suis né, j’ai baigné dans l’univers hermétique du Vaudou et il y a toujours une tension entre mon éducation chrétienne et le sentiment qui m’anime, ma fascination pour l’art africain. Ce climat participe à mon émerveillement. Cette contradiction est le moteur qui anime cette démarche compréhensive. A partir des années quatre vingt 1980, commence mon désir d’élaborer un langage qui traduise le sens du vécu, du rythme, c’est l’inauguration d’une expression propre. Une impression pouvant illustrer à la fois les différentes harmoniques de plages colorées en mouvement pendant les cérémonies vaudous. Permettez-moi d’utiliser le terme harmonique qui est plus approprié à la musique pour traduire cette musique des couleurs en mouvement, le rythme qui anime ces plages colorées, contribuant à l’émergence d’un langage, d’une voix intérieure.
…C’est en regardant, en écoutant les gestes, les traces, les empreintes laissées par « le faire » du créateur pour approcher le vide, la matrice, que j’ai entrevu une voie.
Le vide du langage nous introduit en direct dans le champ du geste, c’est ainsi que l’esprit de la création dirige le geste de l’homme.» L’acte de peindre prend une dimension dominante et ne fait plus qu’un avec la représentation : comme si le but à atteindre avait été de projeter les ondulations de l’énergie en tâches et en traces de couleur sur une toile blanche, un état émotif particulier du corps par ce mouvement et ces couleurs-là.
L’acte de peindre est recherché dans son geste primordial, juste le désir de puiser au plus profond des sources de la pulsion originelle, entraîné par le rythme de cette pulsion même, une fois en mouvement.
L’artiste est alors le conducteur d’un mouvement que son corps arrive à transmettre, en donnant une impression d’ordre interne, de nécessité dans un chaos apparent. Dès lors l’artiste est prêt à assumer l’état de grâce dans l’élaboration de l’œuvre.
Thomas appelé à être initié est devenu à son tour créateur d’images symboliques. Il a osé braver les conventions pour voir et pour comprendre. En essayant de traduire le Beau, le Bien et le Vrai au niveau choisi, Il est conscient d’être dans son corps, le point de jonction de la Matière et de l’Esprit, reflétant l’Ordre Souverain dans le monde sensible.
La possibilité qui lui est offerte de transformer les forces instinctives en forces créatives, lui permet de toucher la nature par la pointe de l’esprit.
Désormais, il ose s’abandonner à la conscience profonde, de ce qui est essentielle. Connaître pour œuvrer dans l’amour né de la compréhension de l’interdépendance de toute chose.
Se taire lorsque les paroles sont inutiles.

18 Confidence

La notion de dualité
Lorsque l’homme est mis en cause dans notre civilisation moderne, on admet le postulat de son ambivalence : on dit qu’il est fait d’un corps et d’une âme.
Confidence, c’est une idée plus juste de l’ambivalence de l’homme devant la prise de décision, le choix entre deux possibilités, entre deux volontés contradictoires. L’une individuelle impliquant un secret bien gardé et l’autre collective enrichit par l’expérience commune.
Sans le secret partagé, l’homme est en proie à la tentation et à la chute. Il est partagé entre sa capacité de résister au secret de la chose à dévoiler et son incapacité à garder le secret, il est tourmenté. En définitive, il n’existe pas de secret qui tôt ou tard ne sera pas dévoilé.
L’ambivalence est le fait psychologique profond en vertu duquel toute tendance est doublée de son contraire, de même que les notions y correspondant ; mais cela ne va pas sans créer de réelles difficultés. C’est que la notion de dualité a naturellement le sens de la division, elle ne possède pas la stabilité qui, pour se fixer sur un plan spatial ou temporel a besoin d’un troisième élément : l’unité dans la dualité.
La Tentation : le secret bien gardé, est une pensée empreinte de tristesse qui vibre à l’unisson des pensées similaires et peut déterminer des névroses. La dénégation des lois de nécessité entraîne la souffrance. A l’inverse se trouve le discernement, une qualité indispensable.

Confidence
Huile sur toile – 1989 – Haut. 84 cm x larg. 60 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

La Chute, c’est un manque de discernement qui est la preuve d’un manque de maturité et de disponibilité, d’un attachement à certains concepts et notions qu’il faut abandonner. L’homme est le fruit de ce qu’il pense.
La chose à dévoiler, c’est le sens de tout action et l’abandon de l’illusion, l’erreur de l'esprit qui nous fait prendre des apparences pour des réalités et qui répond à un état d’agitation.
Le secret gardé, ce sont ces lois de nécessité permettant d’accéder à un degré supérieur de conscience, pour s’imprégner d’une meilleure représentation de l’esprit du créateur et de la création, une idée plus juste de la vie.

19 Conscience

Le ternaire universel
Le mode ternaire au contraire de la dualité possède la stabilité pour se fixer sur un plan spatial ou temporel. Il comporte une structure interne (thèse, antithèse, synthèse, ou présent, passé, avenir) qui confère au troisième terme la valeur d’un aboutissement, d’un objet ou d’un médiateur. Le ternaire représente donc dans l’évolution de la pensée humaine, la phase qui succède à la notion simple de l’attaque et de la défense. Il y ajoute la notion de temps et correspond à la découverte de la fatalité.
La pensée juste, la volonté délibérée et l’action juste permettent de gouverner l’ensemble de notre individualité. L’action juste est une voie initiatique puisque la maturité est liée à l’action juste, découlant d’une pensée juste poursuivie en mode d’inspiration, sans qu’il y ait de la part du promoteur de l’action, désir d’influence. C’est de l’éthique qu’il est question. Celui qui agit de la sorte prend conscience du rôle et de la responsabilité, qu’il accepte d’assumer.

Conscience
Huile sur toile – 1985 – Haut. 84 cm x larg. 60 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

Etre intérieurement silencieux pour discerner les problèmes, les anxiétés, les craintes, les espoirs ou les sentiments de ceux qui nous entourent, est une tâche ardue. Comprendre son interlocuteur, qui peut être un individu, une foule ou un objet, n’est pas à la portée de tous. Il s’agit ici de la communication qui s’établit entre le créateur et son objet de création : quand il s’agit d’un être, c’est une transmission de savoir ou de savoir-faire. Quand il s’agit d’un outil, c’est la forme qu’il doit prendre pour servir d’intermédiaire entre l’homme et la nature naturante. Dans la tradition vodou, ce qui caractérise l’objet c’est son utilité et sa fonction. L’objet rituel peut être aussi un outil de transmission de savoir (totem, masque...)
La Conscience est une icône, une représentation mythique de l’image de la divinité. C’est l’unité dans la dualité, la déesse du milieu des choses, de l’homme. Une convergence des forces du ciel et de la terre, de la matière et de l’esprit, capable de se construire et de se détruire, mais condamnées à s’entendre sous peine de se disloquer.
La nature est constituée de forces qui sont capables de se détruire mutuellement (l’eau et le feu par exemple), mais qui s’associent et se tiennent mutuellement en respect.
L’homme, s’il le souhaite, peut être le médiateur entre le ciel et la terre, entre l’esprit et la matière. Il lui faut simplement cultiver la sensibilité et l’intuition. Un sentiment instinctif qui vient l’habiter lorsqu’il se découvre en rapport direct et immédiat avec la vérité, sans l'aide du raisonnement.


20 La Férie des Masques

Les jours de la semaine se suivent, mais ne se ressemblent pas. Ils perpétuent le rythme du temps qui passe, le matin et le soir. Nous voici enfin au dernier jour de la création de la nature, au premier matin de l’esprit du créateur et de la création.
Le grand jour est arrivé, le septième jour, la férie des Masques ou du faciès. Ce jour est consacré à l’inscription des traits sur le visage du créateur pour définir son aspect général. C’est le jour des sept esprits de l’homme qui se renouvellent sans cesse par la transmission de la mémoire chromosomique pour régner sur toute la surface de la terre.
La Férie des masques, c’est le cycle que constitue les sept jours de la semaine. Associé à la quadrature du cercle, il matérialise l’infini. Ainsi les sept jours font la semaine et les quatre semaines forme le cycle lunaire. A chaque jour suffit sa peine.
La Férie des masques, c’est l’apologie du chiffre sept. C’est la conception du monde noir africain de l’esprit du créateur et de la création au commencement des temps.
Le faciès, aspect du visage humain a été créé pour porter la marque du temps qui passe. Le visage du nourrisson au premier jour, celui de la transfiguration et de la mort au dernier.

La Férie des Masques
Huile sur toile – 1985 – Haut. 89 cm x larg. 116 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

21 L’Art Africain

L'Art Africain fascine en raison de son puissant pouvoir émotionnel et de la beauté abstraite des formes. On retrouve un peu partout, une force dans les lignes brutes, les formes, les textures, et une très grande spiritualité. L’Art Africain nous donne la clé des phénomènes physiques, de l’ensemble des forces qui vibrent au fond de la terre, et de l’espace. C’est là ce que va nous faire découvrir le masque, ce système ornemental d’aspect à la fois métaphysique, décoratif et magique, étendu à tous les objets et à tous les usages de la vie quotidienne.

22 Le Masque

Le Masque est une immense vision des fluides et des rayonnements universels se reflétant sur la surface des choses et formant la trame d’un art, d’une culture et d’une civilisation.
Ce système se dégage de tous les autres aspects de la culture africaine avec sa stylisation gracieuse et étrange et sa confuse intuition des vérités que la métaphysique contemporaine est venue découvrir. Le Masque fait partie intégrante de cet ensemble, et pour l’expliquer, il faut analyser tout le reste; et c’est encore parlé de lui.
Avec la Musique, le Masque est la figure la plus connue du monde noir africain. Il est un appareil de mouvement, instrument de métamorphose intérieure, faisant appel aux forces surhumaines, bestiales ou divines, condensateur des énergies instinctives, instrument de contact avec les forces éparses de la nature et avec ses règnes divers et par-dessus tout organe de participation mystique à la vie des ancêtres et des dieux.
Le Masque est la concrétisation des esprits du créateur et de la création, engendrés des ténèbres pour régner sur toute la surface de la terre.

23 Le Concept de l’image rythmée

La Peinture symbolique de Thomas KOUNDE s’exprime par l’image et le rythme, par « l’image rythmée. » L’image n’exprime pas la réalité essentielle, elle ne parle pas à notre imaginaire et à notre cœur si elle n’est pas rythmée.
L’image exprime les réalités qui soutiennent les apparences. Le rythme, c’est l’énergie de l’image, l’essence magique, l’expression de la source vitale, le choc vibratoire qui nous saisit à la racine de l’être.
L’usage du langage rythmé permet de traiter tous les caractères et toutes les situations selon une loi unique « le rythme » en les intégrant dans une seule et même forme malgré leur différenciation interne. C’est l’exigence de la présence de quelque chose d’universel, de purement humain… Il faut que tout soit unifié dans le concept générique du poétique.
« Ce qu’il faut retenir de mon cheminement, c’est ma fascination pour l’art africain et je crois pouvoir inscrire mon travail dans la lignée de cette pensée qui considère l’univers comme une conscience en évolution, une vibration cosmique, un espace intersidéral à la fois fini et infini, d’où rayonne la lumière de la création qui donne forme à la matière. »
L’esprit de la lumière et celui de la matière dirigent désormais ma création, et je suis heureux d’être à mon tour, l’instrument de l’esprit pour passer le relais et voire graver dans la mémoire collective cette source intarissable, cette énergie créatrice du vivant capable de faire advenir un puissant pouvoir émotionnel et en même temps une très grande spiritualité, c’est à dire : capable de faire advenir une nouvelle dynamique de vie.

24 Liberté

Le troupeau d’éléphants
L’éléphant, d’un point de vue métaphorique symbolise l’univers. Sa voûte supérieure représente le monde céleste qui contient le ciel, le soleil et la lune. Son ventre contient les eaux sur lesquelles flottait la terre. Ses quatre pattes, comme de la rose des vents, est la boussole qui indique les quatre points cardinaux. Ses deux défenses représentent la protection et la défense. Enfin, la trompe est un pont dressé entre le ciel et la terre : c’est la liberté, un état de non soumission à la servitude et la possibilité de penser et d'agir, de jouir de l’expression, selon ses propres choix sans aucune contrainte.
Notre liberté, c’est avant tout, la prise de conscience de l’ensemble des énergies de l’univers de l’homme. La nature même de l’homme est cantonnée entre les forces qui toutes, seraient capables de l’écraser, mais qui se tiennent mutuellement en respect. L’homme, s’il le désire, reste toujours le médium des forces du ciel et de la terre. C’est la condition même de sa liberté.


Liberté
Huile sur vélin d’arche – 1993 – Haut. 50 cm x larg. 69 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

25 Le Gardien du Seuil

L’énergie de la création



Le gardien du seuil
Huile sur vélin d’arche – 1993 – Haut. 69 cm x larg. 100 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

Au seuil de l’éternité, la naissance et la mort.
En naissant, l’âme se revêt d’un corps. En mourant, elle s’en dépouille. Ainsi qu’une journée bien remplie procure un heureux sommeil, ainsi une existence bien remplie procure une mort heureuse.
A la naissance, l’énergie se déroule. Elle transfigure la matière du vivant pour devenir l’objet même de la création. A la mort, l’énergie aspirée par l’aboutissement, se retire de la matière pour prendre sa forme éternelle dans l’œuvre humaine.
On a peur de la mort parce qu’il s’agit d’un voyage qu’on fait nu, n’ayant pour seul bagage que son âme, c’est évident. C’est un voyage pourtant riche d’enseignement.
La seule certitude est que l’œuvre du vivant subsiste à la mort. La nature a donné aux grands esprits de faire et laissé aux autres le soin de juger.
… Illuminer, la main levée, enfin jeter l’ancre au cœur de l’énergie, alors, l’esprit se sépare de la matière, pour devenir éternel dans l’œuvre de la création.

26 La Transfiguration

La mort
C’est une métamorphose, la naissance de l’idée éternelle d’une périssable créature qui se dégage enfin de la chrysalide humaine que cache le masque de la mort. C’est elle qui communique à ce masque cette rigidité pure, ce dédain, ce refus de communication, cette solennité étrange, c’est ici un parti pris d’abstraction qui supprime presque toute apparence humaine. La tête devient un simple ovale.
La mort, c’est un masque absolu, avec dans le regard ce refus de laisser pénétrer, d’aller plus loin, derrière lequel semble t’il, s’étend, invisible comme l’air bleu, un royaume de pure beauté.
L’énigme de la vie parle des trois moments de la vie de l’homme : son enfance, sa jeunesse, sa vieillesse. L’énigme de la mort se pose en ces termes : « Qui sont les deux sœurs dont l’une avale l’autre et lui donne de nouveau naissance ? »
L’énigme de la mort s’inscrit dans un registre binaire et cyclique du retour identique du même. L’engendrement réciproque se répète avec des séquences que l’on peut découper : la nuit engendre le jour et le jour engendre la nuit. De même que la vie engendre la mort, la mort engendre la vie.

La Transfiguration
Huile sur toile – 2008 – Haut. 81 cm x larg. 65 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

Dans la tradition vodou la naissance, la maturité et la vieillesse représentent le parcours initiatique de la vie. C’est ce que le sage appelle « la conquête de la pierre du soir » la pierre qui porte le signe du soleil : la vieillesse couronnée.
Pour y parvenir l’espèce humaine doit aller à la rencontre de son ombre, entreprendre une véritable quête et emprunter un labyrinthe jonché d’épreuves. Voici le chemin de vie, la Préparation délicate de la première matière, l’accomplissement royal unissant l’esprit et la matière du vivant. Pour l’Initié, c’est le soleil du salut, (être dans un état d'exaltation mentale) un chemin de vie ou un voyage symbolique.
Prenons le temps de méditer les propos de La Bruyère : « Pensez constamment à la mort, mais ne la redoutez pas, elle n’effraye que le coupable. Elle n’arrive qu’une fois et elle se fait sentir à tous les instants de la vie.
Il est plus dur de l’appréhender que de la souffrir. L’inquiétude, la crainte, l’abattement ne peuvent l’éloigner ; car au contraire, ils peuvent la hâter. »
Le cheminement de l’œuvre est une célébration, où la pensée ne divorce pas de l’action. Les cloches de l’engendrement réciproque se sont mises à sonner, ce n’est pas l’heure du jugement dernier; mais la voix de la conscience qui sonne le glas, la voix du silence intérieur qui annonce l’échec d’une vie.

27 Vibration Ondulatoire

Celui qui a peur est à la fois un reptile et un félin
Cette représentation est tirée de l’histoire d’un jeune homme qui avait du mal à dormir la nuit et qui profitait de son insomnie pour se livrer à des promenades nocturnes. Un jour, alors qu’il tournait en rond dans la cour de sa maison d’enfance dans la nuit profonde, il sentit quelque chose sous son pied. Pris de panique il cria et réveilla son père qui le pria d’aller se coucher. Le lendemain matin l’un de ses frères, en nettoyant la cour retrouva, un serpent mort qui avait la tête écrasé.
Cette nuit là Thomas avait piétiné la tête d’un serpent. Guidé par son instinct, il avait posé son pied droit sur la tête du serpent. Il n’y voyait rien. Dans la nuit profonde, il était donc comme un aveugle. Cet épisode a fait l’objet de plusieurs extrapolations. Au moment de passer à une mise en image, ce n’est plus l’instinct qui est sollicité, mais la perception du danger, la peur intense face au sentiment d’un danger imminent. Voici donc l’histoire du serpent et la peur adamique qui en découle : l’Angoisse.
Un pied surprend deux serpents en pleine conversation amoureuse et son porteur se demande : quelle est l’issue possible ?


Vibration Ondulatoire
Celui qui a peur est à la fois un reptile et un félin
Huile sur toile – 2008 – Haut. 81 cm x larg. 65 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

Le porteur du pied doit prendre une décision, il pèse le pour et le contre. Poser ou ne pas poser le pied ! Que puis-je faire ? Vaillance absurde ! Piétiner une tête de serpent, se faire mordre par la seconde ou prendre la fuite… Une Boule dans la gorge, palpitation, accélération de la respiration et du rythme cardiaque. Pris de panique devant un danger réel ou imaginaire, l’homme est la proie d’une vibration ondulatoire : la peur intense face au sentiment d’un danger imminent. C’est de manière métaphorique que le questionnement métaphysique utilise l’angoisse, ou simplement l’inquiétude métaphysique face à l’existence.
L’angoisse est précisément l’expérience naissant de l’inadéquation entre les questions que chaque individu se pose au monde, quant à sa propre origine et à sa destinée, et les réponses que ce même monde peut donner. A travers elle, tous les repères définis par le savoir n’apparaissent que comme de dérisoires conceptions résiduelles de la dimension de l’habitation. Si bien que, dans l’angoisse, ce n’est pas tellement nous qui questionnons le monde que nous-mêmes qui nous trouvons mis en question. L’anxiété normale est une réponse émotionnelle d’arrêt et d’éveil devant une situation incongrue. Sa fonction adaptative est évidente.
En définitive, l’énergie est ambivalente, c’est à dire partagée entre deux volontés contradictoires, une dimension à la fois agissante et l’autre paralysante et fusionnelle nous empêche d'agir.

28 L’éternel féminin

L’éternel féminin illustre la vérité métaphysique qu’il n’est possible d’appréhender que par des facultés intuitives et par la sensibilité.
La plus belle des déesses, l’éternel féminin image les forces irrépressibles de la fécondité, non dans leur fruit, mais dans le désir passionné sublimé par l’amour qu’inspire la beauté.
L’éternel féminin est un symbole qui évoque la sérénité, la mort, la renaissance et l’éternel recommencement
Il suggère la volonté d’accepter la solitude, à seule fin de découvrir une vocation, pour accomplir son destin.


L’éternel Féminin
Huile sur toile – 1993 – Haut. 84 cm x larg. 60 cm
©ADAGP/THOMAS KOUNDE

L’éternel féminin et l’image du principe créateur, éminemment féminin, plus ou moins développé en chacun. C’est la femme intérieure que porte tout homme dans ses profondeurs psychiques qui initie le devenir éternel, l’idéation divine, l’archétype du monde manifesté, l’image de la mère, celle qui donne la vie et qui incarne l’esprit de la création et la créativité manifestée.
C’est ici le principe de la dualité incarnée entre le bleu de l’eau « la femelle » et les rayons jaunes du soleil « le mâle » indispensable à la fertilisation. De ces deux aspects, c’est le féminin qui est actif et qui porte en lui un rejeton, une idée dont il se sépare jusqu'au moment où elle peut se nourrir seul. Elle est similaire à l’idée qui germe dans la partie intérieure la plus intime de tout créateur et qui participe à l’enrichissement du monde.
Tout devenir ne peut se concevoir que par différenciation, c’est-à-dire par bipolarisation. Le haut, en effet, ne peut être imagé sans le bas, le bien sans le mal, le ciel sans la terre, la femme sans l’homme, le jaune sans le bleu. Cette différenciation liée à la manifestation, comporte lorsqu’elle s’accorde au rythme de l’âme du monde, le parfait équilibre de deux pôles dans leur complémentarité.